Religieusement vôtre

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Il était arrivé jusqu’au lieu-dit qu’on lui avait indiqué. Farfouillant dans sa besace, il en sortit ce qui avait été un morceau de parchemin : déroulé, retourné, compulsé pendant des jours de voyage, le papier était flétri comme une figue gâtée depuis deux saisons tandis que l’encre s’était presque totalement effacée. Il tenta de déchiffrer les quelques caractères qui survivaient encore.
Se risquant à faire quelques pas de plus vers la bâtisse, il faillit s’épingler sur le cerbère des lieux.

-Mais attention, voyons ! Vous étiez à deux doigts d’écraser un saint homme !

Il agita le papelard sous le nez du garde, comme un drapeau blanc pour mieux prévenir une éventuelle réaction de la brute qui aurait pu lui être funeste.

-Je cherche une personne. Regardez, c’est écrit là. C’est signé Ephéméride.

En attendant que le portier daigne lui répondre, il se mit à lustrer sa défroque de moine, rapinée quelques jours plus tôt à un ermite givré croisé sur la route.

-Vu les pattes de mouche de l’expéditeur, je penche pour une femme. Qu’en dites-vous ?

Dans le silence, il perçut son écho.

-J’ai pas l’impression de m’égosiller tout seul. Ephéméride, elle a une manie des dates ? Une angoisse des rides qu’elle cache sous l’ombre d’un instant fugitif ? Si vous avez une langue, appelez-moi Lanvain. Mieux, frère Lanvain, mon fils !

Le Maurice dévisageait l'homme comme s'il venait d'une autre planète, le laissant faire son monologue il finit par grogner dans sa barbe:

Y a pas d’Éphéméride ici...

Et hop, un coup de vinasse dans le gosier, prit directement au goulot. C'est que ça donne soif de répondre. Le garde continuait de fixer le dénommé Lanvain, et tous deux n'avaient pas remarqué la présence de la brunette qui s'en revenait des bois, où elle avait cueilli quelques herbes pour un éventuel empoisonnement, et qui n'avait pas perdu une miette de ce qui c'était dit. Elle s'approcha encore avant de se faire entendre:

Hum... Bonjour!... Frère Lanvain, si mes oreilles ne me trompent pas?

La donzelle détailla l'homme de haut en bas, puis de bas en haut. Oh la vache! Un moine?! Il s'est échappé de Tastevin ou quoi? Eh ben! Depuis le temps qu'elle veut vérifier sous la bure, c'est le moment de sauter sur l'occasion! Ephémère posa sur l'homme un regard amusé et se saisit de... Ce qui ressemblait à un reste de parchemin. Elle y jeta un coup d’œil rapide en faisant une petite grimace tant c'était devenu illisible, mais reconnut sa signature. Levant à nouveau ses prunelles noisette sur le visage de Lanvain, elle se présenta:

Il me semble que c'est moi que tu cherches, je suis Ephémère... Puis arquant un sourcil... Mais... Euh... Qu'est-ce que t'as fait avec cette missive pour qu'elle soit dans cet état?

Tenant la lettre du bout des doigts, elle l'invita à entrer à l'intérieur et le dirigea vers une table qui se trouvait dans un coin de la pièce.

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Y a pas d’Éphéméride ici...

La brute venait à peine de démontrer qu’elle savait causer, qu’elle s’enfouissait dans le bec un cruchon de piquette et une voix vint recouvrir ses glougloutements. Lanvain se retourna et se trouva face à la commère.

C’est moi-même. Frère Lanvain. Vous avez les oreilles bien pendues. Entre nous, je serais ravi que votre langue le soit aussi, car votre homme de main semble lésiner sur les mots. Or, j’aime bavasser !

Lanvain avait remarqué son étonnement lorsqu’elle avait balayé sa silhouette d’un coup d’œil. Le prestige de l’habit ! ne put-il s’empêcher de penser. Puis, pendant qu’elle s’esquintait les mirettes sur le parchemin, il ne trouva rien de mieux à faire que de la dévisager à son tour. Un façon bien à lui de se tourner les pouces. Il aurait surtout préféré lamper la cruche de vin mais Médor la tenait fermement calée entre ses pattes. Tant pis, il trouverait sûrement un autre os à ronger en chemin.

Il me semble que c'est moi que tu cherches, je suis Ephémère... Mais... Euh... Qu'est-ce que t'as fait avec cette missive pour qu'elle soit dans cet état?

C’est ce qui arrive aux choses qui traînent dans mes bourses.

Comme il la suivait, il se donna un air monacal sévère et la questionna :

Votre pigeon m'est atterri sur la tête en pleine messe. Alors que voulez-vous que je fasse ici ? Un mourant à qui donner l’extrême onction ? Ou c’est pour vous ? Un besoin de confesser les profondeurs de votre mauvaise conscience ? Alors vous êtes bien tombée, j’ai le pardon tactile et le goupillon fébrile !

Tandis qu'elle avançait jusqu'à la table, l'homme en robe sur ses talons, elle stoppa net sa marche et resta figée quelques secondes quand il lui dit:

C’est ce qui arrive aux choses qui traînent dans mes bourses.

Lâchant un petit cri aigu, elle agita soudainement la main en envoyant le morceau de parchemin voler plus loin. Elle se tourna brusquement vers Lanvain, les yeux grands ouverts, la bouche formant un O parfait, prête à lui demander "lesquelles de bourses?". Finalement, Ephémère ravala sa question, prit une grande inspiration et se rapprocha de l'homme pour s'essuyer discrètement les doigts sur sa bure en même temps qu'elle posa sa main dans son dos pour le pousser doucement vers la chaise alors qu'il continua:

Votre pigeon m'est atterri sur la tête en pleine messe. Alors que voulez-vous que je fasse ici ? Un mourant à qui donner l’extrême onction ? Ou c’est pour vous ? Un besoin de confesser les profondeurs de votre mauvaise conscience ? Alors vous êtes bien tombée, j’ai le pardon tactile et le goupillon fébrile !

Les yeux de la brunette s'écarquillèrent un peu plus. Pardon tactile? Goupillon fébrile? Son regard se plissa, sondant celui du moine du dimanche. Elle qui aimait tant les métaphores, la voilà servie.

Dis donc toi, t'as l'air aussi moine que je suis nonne hein... Elle eut un petit sourire en coin... Mais en attendant ma confession, c'est toi qui vas y passer...

Elle posa un formulaire et le nécessaire pour écrire sous son nez.

Formulaire:

Tiens, remplis moi ça... Frère Lanvain.

Ephémère s'installa sur la table, jambes croisées, les yeux rivés sur lui.

Tu veux boire quelque chose?

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Le défroqué s’affaissa de toute la longueur de sa bure sur une chaise et, tandis qu’il s’employait à badigeonner son parchemin d’encre et de niaiseries, la phrase magique qu’il espérait secrètement vint s’égarer dans le creux de son oreille.

Tu veux boire quelque chose?

Son bouche s’étira en rictus aviné. Merda ! C’est qu’il en avait bouffé de la terre pour arriver jusqu’ici. Il aurait été capable de vous indiquer exactement la contrée dans laquelle vous vous trouviez rien qu’en s’enfilant une poignée de bouillasse dans la gueule. Machinalement, il fit disparaître sa main sous les crins de sa robe et en ressortit un godet de ferraille tout piqué de rouille.

C’est bien aimable de prendre soin d’un vieux curé, mon enfant. Approche donc un tonneau près du saint homme, que je le bénisse comme il se doit.

Puis, ayant achevé sa leçon d’écriture, il lui tendit la feuille. Avec sa graphie exotique, la femme mettrait des jours à distinguer le moindre sens dans tous ces signes jetés sur le papier. Content du tour qu’il lui avait joué, il se recueillit devant la pose de la brune, louchant sur ses frusques et ses jambes croisées.

Je suffoque. Est-ce qu’on m’a précipité chez le diable ? Entre nous, je vais vous donner un conseil. Vous devriez prendre un peu d’avance sur la saison. Vous avez sur vous un feuillage aussi abondant qu’inutile. L’automne vient à point pour vous en débarrasser.

Dans un froissement de tissu, l'abbé libidineux engloutit sa tête dans la bure à la recherche d’un objet et la héla.

Je crois que j'ai quelque chose pour vous!