Arrivée de Saint-Loup

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Saint-Loup se demandait comment il en était arrivé là… Lui l’ancien lieutenant de Police de Toulon, loyal combattant et garde marquisal, ex-bailli et chambellan de Provence… venir ainsi frapper à la porte de cette auberge sordide, drapé de noir, masqué… honteux pour tout dire.
Fallait-il que la vie l’ait déçu, que l’humiliation l’ait poussé dans de tels retranchements pour abandonner son honneur et sa foi. Les brigands, ils les avaient toujours eus en horreur, ces coupe-jarrets dont il avait si souvent traqué la forfaiture, qu’il avait battus et trainés en justice… Et voilà qu’aujourd’hui une missive lui offrait de devenir ce qu’il avait tant honni… Curieuse ironie de l’Histoire.
Quant à la sienne, son histoire, elle était nauséabonde et douteuse, faite de trahison, de déception, de renoncement. Un égout était plus sain. Longtemps il avait suivi les préceptes de droiture et d’honnêteté inculqués par sa mère, une douce servante discrète et aimante. Désormais c’était le sang de son père, baron vénal et cruel dont il était le fils bâtard qui bouillait dans ses veines.
Saint-Loup entra dans l’antre de la bête et chercha des yeux celle qui se faisait appeler Ephémère, celle-là même qui lui avait envoyé la missive qui allait faire basculer sa vie.

S'en revenant d'une petite ronde aux alentours du repaire, Ephémère observait l'homme qu'elle voyait de dos et qui ne semblait pas avoir remarqué sa présence. Tant mieux, cela voulait dire qu'elle savait être discrète quand elle le voulait.

Elle s'approcha derrière lui, à pas de loup, la main posée sur la garde de son épée, des fois que...
L'homme tournait la tête à droite et à gauche, cherchait-il quelqu'un ou bien avait-il perdu son chemin? Toujours est-il qu'elle annonça sa présence en lançant un:

Bonjour!... On s'est perdu?

Tout sourire, pour ne pas paraitre hostile.

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Une voix le fit sursauter. Il n’était pas habituel qu’on puisse ainsi le surprendre et il fit prestement volte-face, les doigts crispés sur la dague battant sa cuisse droite. Saint-Loup n’aimait pas être surpris et il en éprouva d’autant plus d’amertume lorsque il découvrit qu’une péronnelle surgie de nulle part aurait pu le clouer aussi facilement qu’elle venait de le ridiculiser.

Il la dévisagea sans égard et ne put dissimuler son étonnement. Il s’attendait en effet à découvrir une vieille femme décatie, une méchante créature aux dents pourries, haleine de souffre et doigts crochus… Ephémère n’avait vraiment rien d’une sorcière… mais que connaissait-il des sorcières sinon l’odeur de chair carbonisée qu’il avait tant de fois humée au détour des bûchers qui avaient jalonné sa route.

Œil mutin et sourire ironique, elle semblait grandement se divertir de son irritation. Saint-Loup n’en était que plus désappointé… Il chercha dans sa besace la missive qu’il avait reçue et lui tendit.

Est-ce vous qui m’avait envoyé ceci ? Pour ma part, je me nomme Eymerich de Saint-Loup et je crois que c’est à peu près tout ce que je peux vous dire de moi. J’ai une épée et ceci aussi...

Il entrouvrit les pans de son mantel et sa peau couturée apparut dans la lueur blanchâtre. Son corps n’était qu’un entrelacs d’estafilades et de cicatrices aux bourrelets violacés.

On dirait que la Mort ne veut pas de moi…

Un triste sourire parcourut son visage buriné, aux rides sales et profondes.

Sauras-tu me l’offrir, toi et ta bande d’écorcheurs ?

Elle aimait surprendre les gens, sortir de nulle part et les voir sursauter. Lire l'étonnement sur le visage, l'agacement dans le regard parfois. Elle remarqua la surprise de l'homme et s'en amusa.

Eh bien... je t'ai effrayé?... Ironisa t-elle gentiment.

Ephémère prit la lettre qu'il lui tendit et tandis qu'il se présentait elle y jeta un coup d'oeil rapide pour s'assurer que c'était bien elle l'expéditrice. Elle leva à nouveau ses yeux vers l'homme et ce fut à son tour d'être surprise quand ce dernier écarta les pans de son mantel. La brunette recula d'un pas et ouvrit grand les mirettes en découvrant son torse zébré de différentes cicatrices. Son regard étonné parcourut les courbes sinueuses que formaient ces marques indélébiles qui barraient sa peau. Les lèvres entrouvertes elle souffla un:

Impressionnant...

Puis elle secoua la tête avant de reporter son regard sur le visage de l'homme, qui affichait un sourire triste à vous tordre les tripes.

C'est que ton heure n'est pas encore venue et que tu as encore des choses à accomplir...

La donzelle afficha un sourire franc avant de continuer:

C'est bien moi qui t'ai écrit, on m'appelle Ephémère... Ravie que tu aies répondu à ma proposition. Suis moi, allons nous mettre à l'intérieur.

Elle passa devant lui et s'assura qu'il lui emboitait le pas. Arrivés devant l'épaisse porte qui abritait le repaire elle frappa trois coups secs et attendit que le garde vienne leur ouvrir, tout en observant Eymerich de façon discrète.

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Saint-Loup sentit grincer en lui la petite musique qui avait tant de fois résonné à son oreille… Une ritournelle entêtante et mortifère dont il connaissait chaque note et chaque intonation. Comme un avertissement, une alerte, un fanal s’allumant dans sa nuit noire. Il savait que son salut était désormais dans la fuite, qu’il n’était pas encore trop tard pour échapper aux serres d’un destin qui se refermait inexorablement sur lui.
Mais elle lui avait souri et il savait que plus rien n’y ferait. Il allait entrer, suivre ce démon, prêt comme chaque fois à se damner pour une cause dont il n’avait jamais osé prononcer le nom, une quête qui hantait depuis toujours sa vie. La seule qui vaille, la seule qui le fasse encore avancer. Si éphémère pourtant…
Éphémère comme le nom de celle dont il suivait à présent le parfum. Entêtant et mortifère.

Maurice ouvrit la porte et ils purent enfin entrer. Saint Loup demeurait silencieux et la donzelle préféra ne pas troubler les pensées dans lesquelles il semblait perdu. Seul le bruit de leurs pas résonnait dans le couloir quand elle le conduisit près de la table où était posée une pile de parchemins.

Ephémère l'invita à s'installer sur la chaise et prit le premier feuillet de la pile pour le poser devant lui. Elle fit de même avec la plume et l'encrier.

Formulaire:

Voici un formulaire, quelques questions auxquelles tu dois répondre avant d'obtenir une clé qui te permettra de découvrir une partie du repaire... C'est un début... Je te laisse te concentrer, je vais nous chercher à boire en attendant, t'as une préférence?

Demanda t-elle en même temps qu'elle s'éloignait de lui, mais sans le quitter du regard.

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Saint-Loup la suivit sans un mot. Arrivés dans la pièce principale, elle lui désigna une table sur laquelle il aperçut un parchemin, une plume et un encrier. Il s’assit et fixa le vélin avec perplexité. Il ne s’attendait pas du tout à ça… Si on lui avait dit que les brigands recrutaient sur curriculum vitae, il en aurait ri à s’en faire péter les coutures. Ces diables n’étaient-ils donc que de foutus paperassiers, de petits ronds-de-cuir crasseux tirant un bout de langue appliquée en maniant le calame ? Cruelle désillusion.

Il avait imaginé des joutes brutales, des tortures initiatiques, de sombres ordalies… Il suffisait donc de savoir écrire pour massacrer et piller… mais savait-il encore écrire ? Un peu de sang goutta de sa narine avant de tâcher le parchemin. Comme à chaque fois qu’il était exaspéré, sa fureur se faisait hémorragie. D’autres gouttes s’écrasèrent sous ses yeux.

Il saisit alors la longue penne d’un ton rageur, la trempa dans l’hémoglobine et griffonna quelques lignes avant de repousser vivement l’écritoire. Saint-Loup s’essuya d’un revers de manche… sa main était poisseuse de sang. Il le goûta en plissant les yeux et regarda Ephémère avec un sourire.

As-tu dans ta cave quelque chose de plus fort que ça ?

Quel homme étrange ce Saint Loup... Pour ne pas dire inquiétant. Elle s'arrêta quand il s'installa à la table, il semblait surpris autant que déçu devant ce petit questionnaire... Elle ajouta d'un ton léger:

C'est une simple formalité, pas de quoi fouett...

Ses mots se brisèrent dans sa gorge quand quelques gouttes de sang s'échappèrent du nez de l'homme, v'là autre chose. Elle fit quelques pas vers lui, mi-inquiète, mi-intriguée. C'est alors qu'il se saisit de la plume sans faire montre d'aucune douceur et la trempa dans cette "encre" rouge foncé . Qu'est-ce qui pouvait bien l'énerver à ce point? Était-ce sa présence féminine et aimable? Peut-être aurait-il préféré être accueilli par une bûcheronne en délire ou une brute assoiffée de sang... Pour sûr, face à cette petite brunette gracile, pas bien épaisse et au sourire facile, la déception devait être énorme. Mais ne dit-on pas qu'il faut se méfier des apparences? Gracieuse rime avec dangereuse... Et faire preuve de charme peut être dévastateur.

Ou bien était-ce ce parchemin qui le mettait dans tous ses états? Regrettait-il d'être ici? Avait-il une idée derrière la tête? Autant de questions qu'elle se posait et qui finiraient par avoir réponse. Elle regarda sa main souillée et plissa le nez quand il goûta à son sang. Quelque chose de plus fort? Voilà une tâche bien difficile...

Je vais voir ce que je trouve... Tout... Tout va bien?...

Demanda t-elle en le fixant dans les yeux tout en prenant le formulaire du bout des doigts pour le confier à Maurice, lequel s'empressa de le porter à qui de droit.

Effrayée la donzelle? Non, point. Juste déboussolée face à cet homme qui semblait difficile à cerner, encore un défi pour l'Ephémère, et pas des moindres.

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Le sort en était jeté. Il était désormais des leurs. Le pacte avait été signé avec son sang...
Saint-Loup regarda Ephémère sans détour. La petite musique résonna à nouveau, assourdissante...

Maintenant tu es ma boussole... et je te suivrai jusqu'en enfer s'il le faut.

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